Vingt-trois personnalités – parmi lesquelles le moine bouddhiste Mathieu Ricard et le psychiatre Boris Cyrulnik – ont signé une pétition demandant au gouvernement la création d’un secrétariat d’État à la condition animale[1]. Il est certes légitime, comme le recommandent les auteurs, de repenser notre rapport au monde animal, en raison de ce qu’il nous enseigne et des menaces qui pèsent sur son existence. Mais la façon idéologique et politique dont l’envisage la pétition souligne en creux le risque tragique d’une inversion des priorités, au détriment de la défense de l’être humain. Ce qu’avait identifié la Fondation Jérôme Lejeune dans sa campagne de sensibilisation « Vous trouvez ça normal ? » sur la loi autorisant la recherche sur l’embryon et les cellules embryonnaires[2].
Les partisans de la « déconstruction » ont de nouveau frappé
La pétition rappelle ce que la science – et même la simple observation – nous apprennent sur les animaux. Il faut reconnaître qu’ils ne sont pas tellement plus « bêtes » que nous ! Ils sont dotés de compétences sophistiquées : une mémoire (d’éléphant), des capacités déductives, le rire (qui n’est plus le propre de l’homme), des formes de culture… et des sensations à la douleur. Ce que la société les ravalant au rang de « matière première exploitable » néglige, voire ignore royalement, pour satisfaire des besoins de (sur)développement. Ainsi, la presse s’en fait régulièrement l’écho, la surconsommation de viande implique au début de la chaîne de production de la maltraitance à grande échelle, voire des actes de cruauté, qu’il faudrait prévenir et condamner.
Or, après avoir établi ce diagnostic certes alarmant, la pétition se transforme malheureusement en plaidoyer idéologique. Il fallait s’y attendre. Si dominer les animaux se traduit par tant d’acharnement à asservir, détruire, massacrer, assoiffer les animaux… la responsabilité ne peut qu’en incomber… à la religion, sous l’impulsion de laquelle les animaux sont devenus en Occident des « êtres inférieurs ». En ligne de mire, la pétition présuppose, avec le contreseing d’un moine bouddhiste, que nous devrions renoncer à tout notre enracinement judéo-chrétien. Nous ferions mieux de nous inspirer des spiritualités orientales qui mettent l’animal à sa juste place : l’égal de l’homme. Oui, sous-tendent-ils, jetons aux orties l’Incarnation, la Réincarnation, c’est plus sympa !
De fait, les partisans de la déconstruction en tous genres, avaient fourbi leurs armes… avec la théorie du genre. Ils ont de nouveau frappé, chacun, du philosophe au moine bouddhiste, y allant de son coup de piolet. Ils franchissent aujourd’hui une nouvelle étape, portant cette contestation de la hiérarchie dans la Création à un niveau politique.
Car en France, où traditionnellement les décideurs politiques se méfient de la société civile (et de la religion bien sûr), tout changement ne peut venir que du sommet de l’État. Promouvoir la création d’un secrétariat d’État à la condition animale, c’est d’abord un pari osé, car cela signifie des moyens alloués : or, en période de disette budgétaire, il existerait d’autres priorités (fonctions régaliennes, justice, éducation, etc.) que celle consistant à ajouter une énième couche au millefeuille administratif pour protéger/sacraliser l’animal (de la vache au poulpe). Mais l’objectif est bien de « sédimenter » l’idée dans l’opinion publique que les animaux méritent un engagement en faveur de leur « condition »… ce qui nous renvoie tout droit à la lutte des classes avec la « condition ouvrière ». Des ministères ou secrétariats d’État dédiés au développement durable et aux questions de biodiversité : cela ne suffit pas. Les pétitionnaires réclament en plus un secrétariat dédié aux animaux parce qu’ils contestent la prédominance de l’homme dans la Création, et qu’ils veulent que cette inversion des repères s’inscrive dans les mentalités.
Pour un anthropocentrisme responsable
Les défis éthiques et écologiques que pose la surconsommation de viande animale nécessitent une approche autrement plus équilibrée. Analyser les problèmes sous un angle idéologique, c’est s’engager dans une voie sans issue car c’est se couper du réel, et condamner l’intelligence humaine à devenir « bête ».
Notre point de départ pour aborder de tels défis devrait être… l’émerveillement. Parce que c’est une attitude concrète, positive et durable : nous continuerons à l’avoir au Ciel ! En effet, reconnaître les prodiges de la Création, de toutes des découvertes que la science n’en finit pas d’accomplir sur la complexité du monde animal, en comprendre la « grammaire »… tout cela nous pousse à rendre grâce à l’Auteur pour ces dons déjà visibles aujourd’hui. Dans une jolie formulation, l’Église nous invite à cette contemplation bienveillante, affirmant que les animaux « par leur simple existence, bénissent Dieu et Lui rendent gloire », Notre Seigneur entourant ses créatures « de sa sollicitude providentielle » (CEC, 2416). [3]
Qu’en est-il du sort réservé aux animaux après leur mort et de la question de les revoir ou non dans l’éternité ? Nous ne savons pas, car nous ne connaissons pas le mode de transformation du cosmos à la fin des temps. Néanmoins, soyons en certains, nous serons comblés au-delà de nos espérances ! De façon audacieuse, le pape François, qui évoque pas moins de vingt fois les animaux dans Laudato Si, y écrit que « la vie éternelle sera un émerveillement partagé, où chaque créature, transformée d’une manière lumineuse, occupera sa place » [4] (n°243).
De cette capacité à nous émerveiller découlera un exercice sain de nos responsabilités à l’égard des animaux. Sans tomber dans la culpabilisation à outrance menant au refus de se servir des animaux au motif que ce sont des êtres évolués. Car si l’option végétarienne est respectable, il est « légitime » d’utiliser les animaux pour la « nourriture, la confection des vêtements », la « domestication », les « expérimentations médicales et scientifiques (…) dans des limites raisonnables » (CEC, 2417). Et l’affection qu’un animal de compagnie peut procurer à l’homme devrait être mis en avant : face au délitement et au vieillissement de la société, le soutien psychologique qu’apporte un animal auprès d’une personne seule, âgée ou malade ne devrait pas être sous-estimé. Des études sérieuses ont montré qu’il vaut bien beaucoup de traitements thérapeutiques[5].
Dans la pratique, la sensibilité à la cause environnementale devrait se faire en considérant, pour reprendre le pape François, que « tout est lié ». D’une part, cette formule s’applique bien aux incohérences d’une attitude visant à surprotéger les animaux, tout en oubliant l’homme, voire en manifestant à son égard de l’hostilité. D’autre part, elle nous invite à une politique audacieuse, qui s’attaque aux effets. Une politique qui ne se focalise pas sur le doigt du sage quand il nous montre une étoile[6].
En conclusion
L’appel à la création d’un secrétariat d’État à la condition animale comporte en lui les germes d’une grave déviance qui risque, en nous soumettant au règne de l’arbitraire, de nous conduire vers les récifs de la « deshumanisation ». Ce jeu de la « déconstruction » auxquels le « gender » et le transhumanisme nous habituent… pourrait franchir en effet une étape supplémentaire avec la consécration de « l’animalisme », conduisant à la disparition de toute trace d’ « humanisme » dans notre réflexion politique.
Rappelons-nous à ce sujet l’avertissement du saint curé d’Ars : « Laissez une paroisse vingt ans sans prêtre : on y adorera les bêtes. » Il faut comprendre par-là que si la spiritualité chrétienne ne communique pas aux débats sociétaux sa force régénératrice, permettant de dire ce qu’est l’homme, ce qui justifie sa responsabilité morale à l’égard de la Création, alors l’intelligence fonctionnera en vase clos, au détriment d’une société vraiment humaine.
• Pol Denis
Novembre 2016
1 http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/10/18/pour-un-secretariat-d-etat-a-la-condition-animale_5015411_3232.html
2 https://www.fondationlejeune.org/wp-content/uploads/2013/10/LF81-250213.pdf
3 Il est bon en cette année de la Miséricorde de se rappeler « avec quelle délicatesse les saints, comme saint François d’Assise ou saint Philippe Neri, traitaient les animaux » (ibid).
4 http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/encyclicals/documents/papa-francesco_20150524_enciclica-laudato-si.html
5 http://www.psychomedia.qc.ca/bien-etre/2011-07-15/benefices-psychologiques-animaux-de-compagnie
6 Les causes de la souffrance animale sont certainement multiples : libéralisme sauvage, communautarisme religieux (avec recours à des modes d’abatage archaïques), exacerbation des phénomènes de violence contre les êtres humains et a fortiori les animaux, etc.