Loi Veil, circulaire et loi Taubira… Qu’ont-elles donc en commun si ce n’est d’avoir fait beaucoup parler d’elles en 2014 ? Peu avant Noël, j’étais en retraite à l’abbaye bénédictine de Triors (Drôme), lorsque sous la douche, probablement déjà bien réveillé, m’est venue cette comparaison au sujet de la place et des droits de l’enfant. Si la Loi Veil, dépénalisant l’avortement, a fait depuis rentrer dans les mentalités le fait qu’un enfant était avant tout un « projet parental » sans existence légale si ce n’est, d’abord dans la volonté de ses parents, elle laissait encore un peu d’illusion à ceux qui, nés après 1975 pensaient que, s’ils n’avaient pas été « désirés » ou voulus, ils avaient, à tout le moins été accueillis.
Malheureusement, la loi dite « mariage pour tous » avec ses corollaires de PMA et GPA[1] n’a fait qu’entériner le droit à l’enfant que beaucoup redoutaient voir inscrit de facto dans la loi. Désormais, ce n’est plus la nature qui commande à la procréation, mais la seule volonté humaine : pire que la loi Veil pour les générations à venir, voici circulaire et loi Taubira !
La volonté, la toute-puissance parentale se trouvent désormais couronnées ! Enfant à naître, connais ta chance, tu es dorénavant, voulu, désiré, commandé… et créé ! Aucun enfant ne pourra plus dire, « j’ai été accueilli ! ». Désormais, comment ne pas voir en creux l’envers de cette toute puissance parentale qui fait de l’enfant tout, sauf un être à part entière, du moins l’égal de ses parents ?
La contrepartie pour l’enfant, c’est évidemment l’angoisse de mort : « si parent 1 et parent 2 ne m’avaient pas voulu, je n’existerais pas, je serais peut-être mort ! ». Quelle dette immense pour le premier ! Quel pouvoir exorbitant pour les seconds !
Le mot est lancé : pouvoir ! L’homme veut désormais le pouvoir sur tout ; de la naissance à sa mort, de la grippe au cancer, de sa fertilité à son apparence ; tout doit être maîtrisé, calculé, rien ne peut plus être laissé au hasard. Si la mort n’est pas encore vaincue mais ne saurait tarder de l’être grâce aux recherches sur les télomères,[2] alors il doit pouvoir décider de sa date, de son heure et si possible, en bonne santé ; là est tout le paradoxe, apparent, de l’humain : la jeunesse éternelle ou le suicide assisté ! Puissance, quand tu nous tiens… On le comprend aisément, faute de pouvoir tuer la mort, l’homme se donne les attributs de la toute-puissance ; créateur et sauveur de lui-même, dieu à la place de Dieu ! La sempiternelle rengaine de l’antique tentation rapportée au chapitre 3, verset 5 de la Genèse : « Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. »
Ce délire d’homme auto-créé n’a rien de nouveau et regroupe depuis le début des années 1980 aux États-Unis ses adeptes derrière une bannière appelée le transhumanisme. Ce mouvement prône l’amélioration des capacités physiques et mentales de l’homme par les technologies qu’on retrouve derrière l’acronyme NBIC pour « nanotechnologies, biotechnologies, intelligence artificielle et sciences cognitives ». Dans les années qui viennent, la médecine pourrait bien vivre une révolution passant de la forme curative à la forme prédictive et préventive. On en voit déjà de nombreuses prémisses. Certaines sont franchement inquiétantes quand il s’agit de dépister dans le sang maternel les cellules circulantes du fœtus potentiellement porteuses de l’anomalie chromosomique de la trisomie 21, dont on sait qu’elle ne soigne pas mais a pour but d’éliminer à un stade plus précoce l’enfant qui en est porteur.
Si le seul objectif de ce transhumanisme était d’améliorer les conditions de vie de l’homme, le questionnement éthique n’aurait pas vraiment lieu d’exister. Malheureusement, l’amélioration ne porte pas uniquement sur les conditions mais sur l’être de l’homme !
Qu’est-ce que l’homme ? Qui sera encore l’homme s’il est hybridé avec des tissus cellulaires synthétiques, s’il est greffé d’un super calculateur auto-correcteur, si l’on ne peut plus dire « Errare humanum est » (l’erreur est humaine) parce qu’il n’y a tout simplement plus d’erreur ? Quelle est cette « humanité déshumanisée » soumise à la toute-puissance de la technologie ? Où réside encore sa liberté ? Autant de questions licites qui pourraient néanmoins ne jamais être soulevées tant est grand l’attrait pour ces découvertes et immense le champ d’application. Revenir à l’homme devient alors une exigence de premier plan, pas par repli craintif, mais parce que tout simplement « la machine reste un instrument au service de l’homme ».[3]
De nombreuses initiatives foisonnent pour replacer l’homme au cœur du projet humain. Je ne citerai que celle qu’entreprend le mouvement Écologie Humaine.
Mon épouse et moi avons participé aux premières assises à Montreuil-sous-Bois les 6 et 7 décembre dernier. Nous avons été immédiatement conquis par les thèmes abordés et la qualité des débats et tables rondes. L’objectif est d’enclencher une révolution de la bienveillance en agissant à la fois sur différents leviers (social, économique et politique). L’un des ses initiateurs, Tugdual Derville, y a rappelé les trois tyrannies auxquelles est confronté le monde moderne (libertarisme, économie et les normes) où l’homme devient la variable d’ajustement là-même où la technologie et la science devraient être à son service. Paradoxe encore quand l’homme cherche à bannir et à éliminer toute forme de vulnérabilité alors qu’elle est au cœur de l’expérience humaine et brèche nécessaire à la rencontre. Qui, en effet, peut se targuer de s’être fait lui-même ? D’être un authentique « self-made man » ? Héritiers de ce/ceux qui nous précèdent, nous le sommes tous ! L’homme ne peut s’auto-engendrer. Il n’est pas Dieu !
Face aux risques d’isolement, de manipulation et de délitement de la société, il paraissait incontournable de construire un projet dont le point de départ serait l’homme ; un concept qui prenne en compte tout homme et tout l’homme sur une expérience unique et communément reconnue : celle d’être en vie !
Alors, curiosité ? Envie d’en savoir plus ? Je vous invite sans attendre à visiter le site du mouvement et découvrir les nombreuses initiatives proposées. Il y en a certainement une près de chez vous : www.ecologiehumaine.eu
• Dokétik
Janvier 2015
[1] PMA : procréation médicalement assistée. GPA : gestation pour autrui (mères porteuses).
[2] Ce sont les extrémités des chromosomes. On a noté qu’ils avaient tendance à raccourcir avec le temps. Un des projets de la médecine « anti-âge » consiste à trouver le moyen de ralentir ou d’arrêter ce phénomène naturel.
[3] Discours de saint Jean-Paul II aux participants à la session plénière de l’Académie Pontificale des Sciences, 28 octobre 1994.