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Le sens de notre baptême (4)

Article publié le 27 juillet 2016 par Vincent TERRENOIR dans Billets spirituels

L’universalité du péché originel, imputable à la faute personnelle d’Adam et Ève, ne serait-elle pas un démenti flagrant de la miséricorde divine ? Telle est l’interrogation sur laquelle nous avions terminé notre dernier entretien. Voici donc la deuxième partie.

 

Un mal ayant valeur de faute et de peine – 2e partie

 

Comme nous l’avions expliqué, entre le péché personnel d’Adam et Ève commis aux Origines et le péché originel qui nous affecte tous en notre nature humaine, la notion de « péché » est ici analogique. Le péché des Origines commis par Adam et Ève était un désordre moral libre et volontaire. Or, le péché originel, tel qu’il affecte notre humanité individuellement, n’est ni du ressort de notre intelligence, ni du ressort de notre volonté propre. Il est seulement un mal dont chacun hérite dès sa conception. Un mal ayant valeur de faute et de peine pour signifier l’existence d’une solidarité de tout le genre humain avec Adam et Ève. En effet, en se détournant librement de l’amour de Dieu, Adam et Ève, au nom de toute l’humanité à venir, ont en quelque sorte profané, offensé l’amitié dont Dieu les gratifiait.

 

Voilà la faute, la terrible faute à laquelle chacun participe en tant que membre de l’humanité. Mais cette faute a également entraîné plusieurs conséquences : la perte de la grâce des Origines qui nous ordonnait, d’une part, à la vision béatifique et, d’autre part, confortait l’emprise de notre âme sur le corps (immortalité), la domination de notre raison sur les passions (état de sainteté et de justice) et la maîtrise de l’homme sur la création (état d’harmonie avec le monde et les créatures). La perte de tous ces privilèges constitue la peine du péché originel. C’est cette dernière qui, il est vrai, nous est le plus immédiatement perceptible à travers l’expérience douloureuse de la finitude de notre condition humaine. Mais cette solidarité du genre humain en Adam, pour ne pas démentir la miséricorde divine, ne peut être pensée qu’au regard d’une autre solidarité : celle de tous les hommes en Jésus-Christ. Ainsi donc, à la question : « Si Dieu est miséricordieux, pourquoi a-t-il permis que tous les hommes soient solidaires de la faute d’Adam ? » Il faut répondre : « Pour faire miséricorde à tous à travers son Fils Jésus-Christ. »

 

Dieu permet le mal en vue d’un bien plus grand

 

Nous touchons ici la délicate question de la permissivité du mal. Comment se fait-il, en effet, que Dieu tout-puissant, qui veut notre bonheur, puisse laisser le mal douloureusement nous affecter ? Cette question s’est particulièrement imposée aux consciences suite aux horreurs de l’holocauste nazi. La réalité du mal serait-elle un démenti de la bonté de Dieu ou de sa toute-puissance ? Voire même la preuve que « Dieu » ne serait finalement qu’un concept imaginé par les hommes ?

 

En effet, confronté à l’expérience de la souffrance, l’homme ne peut que s’interroger. Si Dieu est bon, pourquoi permet-il que le mal nous affecte ? Serait-ce dès lors que le mal serait capable de tenir en échec la toute puissance de sa volonté ? À ces deux questions fondamentales répond le Livre de Job.

 

Scrupuleux, Job est un homme consciencieux au regard des impératifs catégoriques de la raison et de sa religion. Mais en lisant attentivement les premières pages du Livre de Job, on constate que sa fidélité relève avant tout d’une attitude somme toute orgueilleuse, d’un culte de l’égo. À la demande du démon qui n’est pas dupe du jeu de Job, Dieu permet alors que ce dernier soit éprouvé par le malheur. Ruiné financièrement, physiquement, moralement, Job ne comprend pas la raison de cette permission divine. Qu’a-t-il donc fait au Bon Dieu pour mériter une telle situation ? En conséquence de quoi, il somme Dieu de venir s’expliquer au tribunal de sa justice. Trois amis de Job prennent alors successivement la défense de la divinité.

 

Le premier donne raison à la justice divine en affirmant que Job se serait rendu coupable d’un péché gardé secret à sa conscience. Tout est une question de sanction. Le second justifie les malheurs de Job en affirmant que Dieu lui rendra tôt ou tard raison. Tout est une question de patience. Le troisième affirme que Dieu a créé le meilleur des mondes possibles. Il n’y a donc pas lieu de se révolter contre Dieu. Tout est une question de résignation.

 

Arrive alors un quatrième personnage, Élihou, qui, avant de laisser la parole à Dieu lui-même, éveille Job à la réalité de son orgueil spirituel. Moyennant une divine maïeutique sur la sagesse créatrice, Job comprend alors que ses malheurs n’ont été divinement permis qu’en vue d’un bien plus grand : la purification de son orgueil spirituel dont l’enjeu est la sainteté même. Au terme de cette purification intérieure, les pertes de Job sont alors compensées au quadruple.

 

L’enseignement du Livre de Job nous livre ainsi une réflexion théologique sur la souffrance. Sa permissivité divine n’est pas destinée à éprouver notre fidélité, notre patience ou notre résignation. Elle est destinée à une purification de notre égo sans laquelle aucun appel à la miséricorde divine ne serait possible.

 

À ce titre, la permissivité divine du mal est toujours ordonnée à l’obtention d’un bien supérieur[1].

 

C’est pourquoi, contrairement à ce que nous pouvons parfois entendre ici ou là, il serait totalement pernicieux de penser qu’à travers la permissivité de certaines adversités Dieu chercherait en fait à éprouver notre fidélité ! Dieu n’est pas un pervers narcissique ![2]

 

Dieu nous a élus dans le Christ

 

Cette considération préalable sur la permissivité du mal ou de la souffrance nous permet de saisir que Dieu n’aurait jamais permis le péché des Origines s’il n’avait pas, pour ainsi dire, déjà « prévu » la Rédemption de toute éternité. À ce titre, si l’univers de l’innocence originelle fut chronologiquement premier dans l’ordre de la réalisation historique, il faut nécessairement admettre que l’univers de la Rédemption est par ailleurs premier dans l’ordre de l’intention divine.

 

Il s’agit ici d’une nécessité de fait et non de précepte ou de moyen. En effet, notre raison étant discursive, la Rédemption des hommes en Jésus-Christ se présente à nos yeux comme une reprise du plan originel de Dieu que le péché d’Adam aurait momentanément tenu en échec. Mais aux yeux de Dieu, dont le regard embrasse la totalité de l’histoire, quelle que soit la contingence de ses faits, l’univers de la Rédemption est virtuellement contenu dans l’univers de la création, par nécessité de fait. Pour dire les choses autrement, avant même de créer le monde, Dieu voyait déjà, en fait, que le Christ le sauverait parce qu’il voyait aussi, en fait, qu’Adam se détournerait librement de son amour.

 

Nous touchons ici ce que saint Paul appelle le mystère caché en Dieu depuis toute éternité (cf. Éph., 1, 3-6), à savoir notre élection dans le Christ, depuis toute éternité.

 

• Père Jérôme Monribot

Juillet 2016

 

[1] C’est là pour nous un principe révélé et non une pétition de la raison.

[2] Et c’est bien ainsi que, pareillement, nous pouvons lire l’épreuve d’Abraham. L’ordre d’immolation d’Isaac, s’il est bien stoppé par l’ange de YHWH, fut en revanche demandé par « l’Élohim. » Notons le « L » apostrophe. Certains auteurs ont pensé voir ici deux entités spirituelles, l’ange de la divinité et l’ange de YHWH, ce qui est tout à fait admissible. L’Élohim en question ne serait autre que l’Adversaire se faisant passer pour un messager de Dieu et à qui YHWH aurait permis d’éprouver la fidélité d’Abraham. Cf. Le Livre des Jubilés, chap. 17. La permissivité de l’épreuve d’Abraham aboutit alors à la purification de sa relation de paternité vis-à-vis d’Isaac, étape nécessaire pour l’accomplissement des promesses messianiques.