La résurrection de la chair n’est pas seulement un dogme de la foi chrétienne. Plus fondamentalement encore, elle est une réalité du monde à venir que Dieu prépare pour ses enfants. Elle concerne donc le futur de l’humanité, tel que ce dernier, par le don de l’Esprit, s’est révélé dans l’évènement de la propre résurrection de Jésus.
L’ESPÉRANCE DE LA PÂQUES
Saint Jérôme rapporte une rumeur bien établie selon laquelle le Christ aurait prévu de revenir durant la nuit de Pâques. Et il ajoute même, qu’à son époque, pour cette raison, il n’était pas permis de congédier les fidèles avant le lever du jour.(1)
Il y a donc eu, dans les premiers siècles du christianisme, une tradition ecclésiale qui liait intimement la commémoration de la Pâques au retour glorieux du Seigneur. On peut donc dire, en ce sens, que la vigile pascale est foncièrement « une liturgie » de l’espérance.
À la fois commémoration d’un évènement (la Résurrection de Jésus) et évènement commémoré (l’accomplissement du Salut), la célébration du mystère pascal nous rend en quelque sorte présents au passé tout en nous projetant vers le futur. Le cadre de la vigile pascale est ainsi défini comme une joyeuse tension de notre âme vers les réalités d’en haut. Comment vivre, dès lors, si loin du tombeau vide, cette dimension verticale de la Pâques ?
LA PÂQUES EST UN PASSAGE
On a souvent traduit la signification du mot « Pâque » par l’idée d’un « passage. »
La Pâque est un passage « par-dessus » quand elle désigne Dieu ou son ange qui passe et survole, en les épargnant, les fils d’Israël dont les maisons étaient marquées par le sang d’un agneau sacrifié.
Elle peut être aussi un passage « à travers » – un exode – quand elle désigne le peuple hébreu qui, en traversant le désert, passe de l’Égypte à la terre promise. Ou bien les fils de l’Église lorsqu’eux-mêmes passent de la servitude du péché à la liberté de la grâce.
Elle est encore un passage « en avant » quand l’homme progresse petit à petit dans la sainteté et les béatitudes.
Enfin, la Pâque chrétienne peut désigner un passage « vers le haut » quand l’homme passe des réalités de notre monde à celles du Ciel qui, comme telles, ne passent pas.
LE MONDE PASSE AVEC NOUS
Saint Augustin a très clairement expliqué cette dernière signification. « Faire la Pâque, dit-il, signifie passer de ce monde [à l’autre] pour ne pas passer avec ce monde. » (2)
Notre vie terrestre, en effet, comporte un aspect transitoire. Héraclite, plusieurs siècles avant le Christ, disait déjà qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. La vie s’écoule, inexorablement. Dès le premier instant de notre conception, commence un compte à rebours : celui de notre heure dernière. Face à cette réalité inéluctable, les hommes peuvent adopter diverses attitudes, plus ou moins insouciantes. Jésus lui-même nous le rappelle en évoquant les jours qui précédèrent le déluge : « On mangeait et on buvait… On prenait femme et mari… Et les gens ne se doutèrent de rien jusqu’à ce que vint le déluge qui les emporta tous » (cf.Matth., 24, 38).
Que nous enseigne donc la foi devant cet état de fait que tout passe ? « Le monde passe avec ses convoitises, affirme saint Jean, mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement » (1 Jean, 2, 17). Il y a donc pour nous un moyen de ne pas passer complètement : En faisant la volonté du Seigneur, c’est-à-dire en mettant en pratique sa Parole.
POURQUOI REGARDER LE CIEL ?
C’est pourquoi, dans l’attente de réaliser avec son corps ce « passage » vers les réalités du Ciel, le chrétien est appelé à le réaliser avec son cœur, ici-bas. Précisons, cependant, ce que signifie le mot « ciel » dans le vocabulaire de l’Église et quel est son rapport avec la vie terrestre.
Quand nous parlons de « ciel » nous ne parlons pas d’un lieu qui se trouverait au-dessus de nous mais d’un événement qui se tient devant nous. Ainsi, après avoir dit aux Apôtres (Act., 1, 11) : « Pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? » – les deux anges leur indiquent plutôt dans quelle direction doivent se porter leurs regards, c’est-à-dire vers le Retour du Seigneur : « Ce Jésus qui vous a été enlevé pour le ciel viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel »
Saint Paul affirmera la même chose : « Notre cité à nous est dans les cieux, d’où nous attendons, comme Sauveur, le Seigneur Jésus-Christ » (Phil., 3, 20). C’est pourquoi, le « Ciel » de la foi chrétienne, plus fondamentalement encore, est une personne : c’est le Christ ressuscité auquel nous sommes unis par la grâce du baptême. C’est le Christ ressuscité avec lequel nous ferons « corps » par notre propre résurrection.
En dernière analyse, « rejoindre le Ciel » ou « aller au paradis » signifie « être avec le Christ » (cf. Phil., 1, 23).
PASSER AU CIEL AVEC SON CORPS
Ainsi, loin d’être une fuite des réalités terrestres, la foi des chrétiens dans le retour du Christ et la résurrection de la chair, valorise, au contraire, l’importance de la vie présente et du corps.
Épiphanie de la personne humaine, le corps, en effet, ne saurait être un simple instrument de l’âme, destiné à intérioriser les sensations du monde. Encore moins un objet de commerce ou d’expériences médicales. Le corps humain se situe d’abord et avant tout dans le registre de l’être et non dans celui de l’avoir. Il est destiné, avec notre âme, à participer à la béatitude éternelle. Nous souhaitons tous vivre heureux dans notre chair et non pas sans elle. La foi nous assure que c’est ce qui arrivera, à la suite du Christ notre Pâque.
NOUS NE VERRONS PLUS LE TEMPS PASSER
Certains se demandent : « Mais que ferons-nous au Ciel, près du Christ, pour l’éternité ? Ne risque-t-on pas, dès lors, de s’ennuyer ? »
Cette question est légitime. Et quand des enfants la posent à leurs parents, il ne faut surtout pas l’évacuer. Mais demandez à des amoureux s’ils s’ennuient quand ils sont ensemble.
Ou bien encore : « Est-ce que cela nous ennuie de se sentir bien et en bonne santé ? » Lorsque nous vivons d’intenses moments de joie, la perception du temps qui passe s’évanouit… Tout semble trop bref. Nous voudrions même que ces moments puissent toujours durer…
Ici-bas, pourtant, cela n’arrive jamais. Car en dehors de Dieu, rien n’est éternel et rien ne peut nous satisfaire pleinement et indéfiniment. Mais en Dieu, tout sera différent. La connaissance intime du Père que possède le Fils inondera notre intelligence, à la manière d’un océan d’amour et d’action de grâce. L’Esprit-Saint lui-même, dilatant les limites de notre entendement, guidera notre esprit dans une contemplation émerveillée de l’essence divine. Dans cette vision nous seront alors dévoilées les plus belles vérités de la création et de la rédemption. À travers la connaissance de Dieu, l’existence de chaque être humain nous sera totalement transparente. Personne, absolument personne, n’aura dès lors envie de dire : « Je suis lassé ou rassasié. Cela suffit… »
Abbé Jérôme Monribot
Conseiller spirituel
(1) Saint Jérôme, In Matthaeum, IV, 25, 6.
(2) Saint Augustin, Traité sur l’Évangile de Jean, 55.