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Jeunesse en quête d’Espérance : désir d’absolu contre esprit consumériste

Article publié le 11 février 2016 par Pour l'Unité dans Chronique @

Poursuivre 2016 en parlant d’Espérance ; en voilà une bonne idée, surtout après l’année qui vient de s’achever ! Cette idée a germé lors d’un colloque de pédopsychiatrie organisé le mois dernier dans mon CHU. Un confrère est venu nous proposer son enseignement concernant le diplôme universitaire intitulé « adolescents difficiles ». Très vite, il évoque les difficultés rencontrées dans son service face à l’explosion de ce que l’on nomme désormais la « radicalisation » parmi les jeunes.

Son discours était volontiers pessimiste d’autant qu’il peinait à identifier, en tant que psychiatre, une pathologie commune propre à son domaine d’intervention ; pis, il avait le sentiment que le problème ne relevait pas tant d’un problème psy que du reflet d’un malaise dans la société : « on n’a plus rien d’autre à offrir aux jeunes que le vertige de la consommation et l’engrenage de la performance ! ». L’assemblée paraissait dépitée. Est-ce la « pauvreté » de l’offre d’une société repue ? Serait-ce plutôt l’étonnement général devant un constat lapidaire : la consommation ne comblerait pas tout ? Ces deux questions n’ont au fond qu’une seule et même réponse si l’on prend un peu la peine de se pencher sur la jeunesse de l’homme. Si nos sociétés de pays riches ne semblent pas répondre aux attentes des jeunes, il est fort à parier qu’elles n’ont peut-être pas encore réalisé, estimé quels étaient les désirs de nos jeunes.

D’où viens-je ? Où vais-je ? Pourquoi la souffrance et la mort ? Pourquoi vivre si c’est pour mourir « définitivement » ? La vie vaut-elle la peine d’être vécue ? Y a-t-il une vie après la mort ? Notre scientisme optimiste, grandement flatté par l’avènement de l’ère industrielle, a cru évacuer ces questionnements existentiels qu’on croyait propres à la petite enfance ; il n’en est rien !

Dans nos sociétés du gaspillage et du gavage, la question du sens de l’existence refait surface d’une manière très brutale. On a cru que le bien-être pouvait se mesurer au remplissage d’une armoire, que la progression des ventes refléterait le moral des ménages, qu’on pouvait entretenir le désir entre périodes de soldes et de promotions et l’on découvre qu’une partie de la jeunesse échappe à cette « promesse » de bonheur par la consommation !

Des milliers de jeunes européens sont partis ces cinq dernières années grossir une armée rangée derrière un drapeau noir et la préoccupation des médias tourne autour de savoir comment empêcher le départ physique de ces jeunes ou encadrer leur retour. Soit !

Je vous propose de nous interroger ensemble sur les raisons qui ont provoqué ce départ en écoutant certains de ces jeunes : « Âgé de 22 ans, je suis parti car je ne voulais pas de la vie de mon père ; il se tuait au travail et le soir, épuisé, il n’avait jamais de temps pour nous ». Un autre : « J’étais scandalisé par les bombardements de population civile, je ne pouvais pas laisser faire ça, j’avais le sentiment de ne servir à rien devant ma télé, alors je suis parti ». Une autre : « Infirmière de 35 ans, originaire de la région parisienne, je suis partie avec ma fille de 5 ans une semaine après ma conversion pour soigner les blessés après avoir été sollicitée sur Facebook ». Ce dernier : « Je ne me reconnais pas dans cette société libérale et permissive ; j’ai besoin de règles. En France, on pouvait tout faire, ici on nous dit quoi faire et on sait tous ce qu’il ne faut pas faire, c’est paradoxalement rassurant ».

Si tous ces volontaires au départ viennent d’horizons différents, ils ont pourtant un point commun : leur jeunesse. Qu’est-ce que la jeunesse sinon le désir de radicalité, la soif d’engagement, le besoin de se donner, de rêver ? Ce qui se noue dans ces départs aussi rapides qu’inattendus est de l’ordre de la rébellion, du rejet de ce qu’incarne l’Occident : individualisme, hédonisme, relativisme, matérialisme, athéisme.

Intervenant régulièrement dans des collèges ou des lycées dans le cadre de la prévention des conduites addictives, j’ai souvent interrogé les jeunes sur leurs désirs et les causes pour lesquelles ils seraient prêts à se donner. Ils évoquent régulièrement un rejet du passé et de l’Histoire dont ils ne connaissent au fond pas grand chose. Aucune figure historique d’appropriation ou d’identification ne parait émerger à première vue. C’est tout bonnement l’histoire de notre pays que nombre d’entre eux ne s’approprient plus alors même que le besoin de s’inscrire dans un roman national, une aventure communautaire n’a jamais été aussi grand !

Nous serions surpris, et certains d’entre vous probablement choqués par mes propos pourtant, la plupart des « apprentis djihadistes » ne sont pas fous, leur problématique ne relève pas de la maladie mentale quand bien même ils iraient jusqu’au sacrifice de soi… et d’autrui. Non ! Ils ne sont pas fous. Ils viennent nous rappeler quelque chose qui pourrait bien nous laisser stupéfaits. Le philosophe Fabrice Hadjadj rappelait récemment que « le bonheur que nous cherchons profondément n’est pas dans le bien-être ni le confort mais dans la générosité jusqu’au sacrifice ». Mais comment peut-on comparer don de soi et suicide ? sacrifice et meurtre ? Ne serions-nous pas là face à ces fameuses « vertus chrétiennes devenues folles » dont parlait le philosophe anglais Gilbert Keith Chesterton ? Que reflètent ces conversions ultra-rapides à l’Islam, de l’enseignement de la foi chrétienne et de la façon dont elle se vit au jour le jour ? Et nous, chrétiens, comment pouvons-nous encore entrer en contact avec la jeunesse actuelle ? Qu’avons-nous à lui dire ? Comment trouver les moyens de vivre notre foi dans ce monde, la partager ? Le terme « communauté » a t-il encore un sens ?

Si nous croyons en Dieu, nous pensons que chacun d’entre nous est appelé à une mission, dans les grandes comme les petites choses. Ainsi, chacun a sa « vocation ». Dieu ne nous appelle pas à vivre à moitié mais à vivre pleinement. Cela signifie qu’une vie n’a de sens que lorsqu’elle se donne à fond. En amour, donner sa vie pleinement, c’est donner la vie ; dans le sacrifice, c’est donner sa propre vie. La question du sens de la vie, tout comme celle de la sortie de l’addiction revient donc à peu près à cela : « Pour quoi es-tu prêt à donner ta vie ? » Imaginons-nous un instant nous poser à nous-mêmes cette question chaque matin, et chaque matin la poser à nos proches, à nos collègues, à notre patron. Ne croyez-vous pas que cela finirait par changer non seulement nos relations aux autres mais aussi notre quotidien ?

Pour cela, pas d’autre solution que de se connaître et de chercher ce à quoi Dieu nous appelle : le bonheur dans le don généreux de soi ; se rappeler enfin les paroles de sainte Catherine de Sienne dont le saint pape Jean-Paul II se faisait l’écho dans la nuit de Tor Vergata aux JMJ 2000 : « Si vous êtes ce que vous devez être, vous mettrez le feu au monde ! ».

Dokétik