Les 23 avril et 7 mai 2017 auront lieu les élections présidentielles en France. Quelques mois seulement nous séparent de cette échéance cruciale pour notre pays. Les candidats se pressent au portillon, mais il est souvent difficile dans le flot des promesses d’identifier un programme politique digne de ce nom. Pourtant, plus qu’un simple projet, un programme politique constitue l’assise proposée à la France qu’un prétendant à l’Elysée sérieux – véritable homme d’État – ne peut négliger puisqu’il engage l’avenir. Dans une monarchie, cette assise est symboliquement représentée par le trône sur lequel le roi prononce un discours, rend la justice, etc. Sur la scène internationale, c’est le siège qu’occupe un pays dans telle instance qui signifie son importance dans le concert des nations. Quels seront donc les « trônes » ou les « sièges » proposés par les candidats ? Quels seront leur nature, leurs fondements, leur solidité ?
Le choix – crucial – que nous aurons à poser peut se présenter sous forme d’une parabole. Une vieille dame entre sur scène. Vu son grand âge, elle peine à marcher. On la sait en outre dépensière : d’ailleurs, elle croule sous les dettes sans remettre en cause son train de vie. Elle a beaucoup reçu dans son jeune âge et certains de ses traits témoignent d’une jeunesse intemporelle. Elle est tombée à de nombreuses reprises, mais s’est relevée, avec l’aide de sa maman dont elle est la fille aînée.
Des experts autoproclamés prétendent que sa vie publique a commencé… en 1789, année charnière où elle serait passée de l’ombre à la lumière. Quelques sages font remonter bien plus loin le début de sa destinée – 496, date de son baptême – mais on ne veut pas les écouter. À mesure qu’elle avance sur scène, des hommes et des femmes lui proposent un siège pour s’asseoir.
La tentation du « divan-bonheur »
Des fauteuils tous confortables et rutilants lui sont mis à disposition. Parmi eux, un « divan-bonheur », pour reprendre l’expression du pape François[1], avec massage et soins intégrés. Celui qui s’y assoit bénéficie d’une assistance médicale de choc. Trois tuyaux viennent se brancher sur lui. Le premier, étiqueté « ultralibéralisme », distille un remède à l’organisme, mais de façon inégale. Il n’en alimente réellement qu’une partie, à très forte dose, jusqu’à provoquer l’évanouissement. Le reste de l’organisme en est privé et finit par suffoquer. Le deuxième, labellisé « transhumanisme », est très prometteur, en apparence. Mais tout en se targuant d’augmenter les capacités de l’organisme, il en détruit certaines cellules jugées inutiles. Quant au troisième tuyau dénommé « laïcisme », il ignore la liberté et diffuse un même poison dans tout l’organisme.
Quand la vieille dame passe devant les fauteuils, la foule des spectateurs l’invitent à s’y asseoir. La dame s’en détourne, instinctivement. Elle voudrait savoir dans quelle matière ils ont été faits, quelle est leur résistance, si elle pourra s’en relever sans difficulté. Portant la main à la hanche, en souvenir d’une douloureuse chute qu’elle a fait en tombant de l’un de ces fauteuils il y a peu, elle n’a pas pour autant perdu la tête : elle pressent qu’elle ressortirait paralysée d’une nouvelle chute, voire qu’elle lui serait fatale.
D’autres dames, moins âgées, observent avec attention la scène et épient les moindres de ses gestes. Parmi elles, titubant, la « mère » Hic, une lointaine parente qui habite outre-Atlantique. Elle en revient, de ses excès passés, notamment de l’ultralibéralisme et du consumérisme et essaie de se désintoxiquer, mais avec peine… En novembre prochain, elle aussi doit entrer sur scène et il paraît qu’on lui propose un choix très limité entre deux chaises toutes deux branlantes.
La chaise aux quatre pieds solides : Justice, Liberté, Vie et Paix
Dans un coin de la salle, loin des regards cupides, une lumière se projette sur une chaise, vers laquelle, guidée par le « bon sens », la dame se dirige tout naturellement. Taillée à même le chêne, elle est indéracinable. Sa noblesse alliée à une certaine simplicité exerce un attrait immédiat. Elle remplit parfaitement sa fonction, sans prétendre à autre chose que de fournir une assise solide et durable à la vieille dame. Si elle la testait, elle serait parcourue par un élan de jeunesse. Son regard serait ravivé, l’ensemble de ses membres engourdis retrouveraient leur dynamisme. Ce socle est certes sans fioriture. Mais il ne met que mieux en valeur la beauté intrinsèque, les richesses cachées de la vieille dame.
Ses quatre pieds sont libellés : Justice, Liberté, Vie et Paix. Un homme se tient à côté. Il explique avec pédagogie et simplicité à la dame comment il l’a taillée dans le chêne. Il n’a pas voulu fabriquer de trône. La chaise a une hauteur suffisante, pour regarder au loin, être vue de l’extérieur et échapper aux attaques des bêtes rampantes. Mais assez basse pour conserver une certaine humilité par rapport au Trône divin, sentir l’odeur de la terre et des troupeaux. Cet artisan explique en toute transparence le processus de fabrication utilisé. Equilibrée dans ses appuis, la chaise repose sur quatre pieds qui portent chacun le nom de l’instrument qui les a formés.
Le premier a été taillé avec un outil qui s’appelle la « justice sociale ». Celui-ci permet d’édifier une économie plaçant l’homme en son centre tout en le responsabilisant. Véritablement écologique, il permet à son utilisateur une économie des moyens et des ressources, réduisant les dépenses inutiles.
Le deuxième a pour fonction de préserver la « liberté de conscience », sans quoi le chêne, faute de souplesse, risquerait de rompre.
Le troisième pied a demandé le plus de travail. Il a fallu employer l’outil « protection de la vie » dont on avait oublié depuis 40 ans le mode d’emploi. À la différence de contrefaçons que l’on trouve bradées sur le marché, cet outil se révèle indispensable pour assurer la stabilité de la chaise et préserver l’intégrité physique de la vieille dame, en commençant par les parties les plus fragiles de son corps.
Enfin, la Paix est le nom d’un outil employé pour façonner le quatrième pied. Il a pour fonction de protéger la personne qui s’assoit contre les menaces de l’extérieur. « Si tu veux la paix, prépare la guerre ! ». Il ne s’agit pas d’un pacifisme béat et mollasson, mais d’une paix acquise au prix d’efforts menés dans la Vérité. C’est une garantie de très long terme que propose le concepteur à travers ses quatre leitmotivs : Justice, Liberté, Vie, Paix. Il explique que pour y parvenir, l’emploi des outils présentés n’est pas une option : il est non négociable. Sans eux, il ne serait pas parvenu à fabriquer sa chaise.
En finir avec la politique de la chaise vide
Peut-être qu’à la dernière minute, les promoteurs de fauteuils se raviseront. Ils iront voir l’artisan de la chaise pour être capables, avec son aide et ses conseils, d’unir leurs forces et d’en fabriquer une. Le cahier des charges comportera un prérequis minimum, à savoir ces quatre pieds : Justice, Liberté, Vie, Paix. Ou bien, les promoteurs camperont sur leurs positions, n’offrant alors à la vieille dame qu’une issue fatale.
Ce dilemme revient à se positionner par rapport à la « politique de chaise vide » pratiquée par les gouvernants depuis quarante ans. Cette expression est certes employée au départ pour évoquer la défense des intérêts supérieurs de la France, en référence au général de Gaulle qui s’opposa aux diktats que la Communauté économique européenne voulait lui imposer, notamment en matière de politique agricole commune. Aujourd’hui, la chaise vide désigne plutôt le « socle des valeurs » que la France se refuse d’assumer, au nom de la soumission à des lobbies économiques et libertaires. Que nous proposeront les candidats à la présidentielle de 2017 comme « socle politique » permettant à la France, fille aînée de l’Église, d’asseoir sa position sur la scène nationale et internationale sans compromettre les « points non négociables »[2] que l’Église offre à notre conscience de citoyens ? Que choisirons-nous en définitive, en tant qu’électeurs ? L’Histoire se joue dès maintenant, dans la définition d’un projet de société digne des valeurs chrétiennes qui ont façonné notre identité et construisent pour notre pays, contre vents et marées, un avenir durable.
Pol Denis
[1] www.famillechretienne.fr>eglise : « Le pape François demande aux jeunes de ne pas « végéter » dans un divan (…). »
[2] Discours du pape Benoît XVI aux participants au Congrès promu par le Parti Populaire Européen, le 30 mars 2006, disponible sur le site www.vatican.va. Ces principes sont : « la protection de la vie, la promotion de la structure naturelle de la famille, le droit des parents d’éduquer leurs enfants ».