Le diable préfère les saints
Jacqueline Kelen, Éd. Cerf, 2016
Il est difficile de parler du « locataire du dessous », sans que, tout de suite, ne s’éveille notre curiosité. Il est vrai que cet ange des ténèbres aime fasciner et attirer l’attention sur lui.
Jacqueline Kelen a le grand mérite d’éviter le piège du sensationnel pour évoquer, non pas des séances d’exorcisme et de diableries diverses, mais toutes les figures de ces saints (ermites, moines et moniales, mystiques, hommes et femmes) qui ont eu à subir les assauts et les tentations du Démon. À travers leurs épreuves, ces figures exemplaires ont aussi indiqué les remèdes et les armes pour lutter contre les attaques du Diable et triompher de lui.
Dieu permet ces tentations pour éprouver notre foi, c’est-à-dire la fidélité de notre amour envers Lui. Le dialogue entre Dieu et l’Adversaire, dans le Livre de Job, le montre parfaitement. Mais, quoi qu’il en soit, Dieu est le Maître, pas « l’autre » (simple créature qui n’est en rien son égal), car ce dernier ne peut tenter qu’à la mesure de ce que Dieu consent.
« Le jour où les fils de Dieu se rendaient à l’audience du Seigneur, le Satan, l’Adversaire, lui aussi, vint parmi eux.
Le Seigneur lui dit : “D’où viens-tu ?”
L’Adversaire répondit : “De parcourir la terre et d’y rôder.”
Le Seigneur reprit : “As-tu remarqué mon serviteur Job ? Il n’a pas son pareil sur la terre : c’est un homme intègre et droit, qui craint Dieu et s’écarte du mal.”
L’Adversaire riposta : “Est-ce pour rien que Job craint Dieu ? N’as-tu pas élevé une clôture pour le protéger, lui, sa maison et tout ce qu’il possède ? Tu as béni son travail, et ses troupeaux se multiplient dans le pays. Mais étends seulement la main, et touche à tout ce qu’il possède : je parie qu’il te maudira en face !”
Le Seigneur dit à l’Adversaire : “Soit ! Tu as pouvoir sur tout ce qu’il possède, mais tu ne porteras pas la main sur lui.” Et l’Adversaire se retira. » (Job 1, 6-12)[1]
Job est ainsi allé de malheurs en malheurs, mais jamais il n’a maudit Dieu… et le Démon a perdu son pari.
Jacqueline Kelen ouvre naturellement le premier chapitre par Jésus, en citant cette phrase capitale du Nouveau Testament : « C’est pour détruire les œuvres du diable que le Fils de Dieu s’est manifesté. » (1 Jean 3, 8). Elle évoque ainsi tout ce qui relate dans les Évangiles la lutte du Christ contre le Démon et l’ordre qu’il donne aux disciples de chasser les démons.
Je retiendrai dans ce livre deux passages importants qui situent avec justesse : la réalité du Diable, et la réalité du combat que nous avons à mener toute notre vie contre lui par les embûches qu’il va semer pour tenter à tout prix de nous écarter de Dieu.
Ainsi, dans le prologue de ce livre, à propos de la réalité du Diable, tandis que notre époque rationaliste et athée ne croit plus guère en Dieu mais croit aisément au virtuel ou vit de superstition, Jacqueline Kelen précise : « Dans toutes les traditions religieuses d’Orient et d’Occident, sans exception, les démons sont une réalité puissante à affronter et ils assaillent plus volontiers celui qui aspire à la clarté spirituelle, celui qui accomplit le bien, ou encore l’homme éveillé, tel Bouddha attaqué par Mara.
Une société qui refuse la Transcendance, qui nie l’univers invisible et dénie à l’être humain une vocation céleste est la proie idéale de ces forces de destruction et de désintégration, et une proie sans défense aucune. Parce que ce n’est pas avec des moyens matériels, ni avec des techniques de bien-être, ni avec des slogans sur le bonheur que l’on empêchera l’expansion de l’empire du Mauvais. Seule la puissance de l’Esprit divin est apte à dérouter et à vaincre Satan et ses troupes. Ainsi le montrent avec insistance le parcours terrestre de Jésus, puis la vie des saints et des mystiques chrétiens que l’Ennemi a malmenés, mais non pas terrassés. »
D’autre part, dans le dernier chapitre, sur la réalité du combat spirituel, elle écrit : « Et nous, en ce XXIe siècle, que répondrions-nous ? Qu’est-ce qui gouverne le monde et les hommes ? Les démons circulent-ils librement sur la terre ? Les saints, du moins les aspirants à la sainteté, sont-ils nombreux parmi nous ?
La vie que mènent les hommes fait souvent obstacle au miracle. Elle ignore la présence du Diable et renie celle de Dieu. Elle se croit tranquille et sûre, elle n’est pourtant que “maison d’araignée”, comme le rappelle Job. Pour que la paix advienne, nécessité est de combattre : non pas de détruire d’autres hommes et de semer partout l’horreur, mais de juguler à l’intérieur et à l’extérieur de soi les puissances démoniaques et les empêcher de nuire. Toute paix est provisoire qui n’est pas le fruit du combat spirituel. Toute solidarité est illusoire qui ne se fonde pas sur l’amour de Dieu.
[…] Tant de saints auraient-ils donc lutté contre des chimères, comme le grand Don Quichotte, passant pour fou aux yeux du monde, bataillant contre des moulins à vent. N’est-il plus que les papes pour oser parler du Diable sans craindre le ridicule ?[2]
[…] Assurément, il est du devoir du chrétien de lutter contre le Démon, même si cette tâche paraît interminable ; et il revient au seul pouvoir de Dieu de l’annihiler définitivement ou bien de le rédimer ».
Ce livre, facile à lire, est un véritable traité sur le Diable. On comprend combien cet être maléfique n’a d’autres buts que de nous faire perdre la vie éternelle comme lui. Alors il serait bien que l’Église le remette à sa (juste) place lors des sermons dominicaux, non en donnant la peur de l’Enfer, mais en montrant combien l’amour de Dieu nous libère des pièges infernaux du Malin, cet inlassable Ennemi de Dieu… et du genre humain.
Vincent Terrenoir
[1] http://www.aelf.org/bible/Jb/1
[2] Elle cite le bienheureux Paul VI en 1972, saint Jean-Paul II en 1987, François en 2013 et 2014.