Nous poursuivons, dans le cadre de cette année jubilaire centrée sur le Pardon, une série de catéchèses sur la signification du baptême, puisque ce dernier est la toute première expression de la Miséricorde divine à notre égard.
Le baptême nous purifie du péché originel – 1ère partie
Dans notre dernier entretien du mois de mars, nous avions évoqué combien la fidélité de Dieu à ses propres engagements, tout au long de l’histoire, est à la source de son incommensurable miséricorde envers les hommes. Et, de fait, le sacrement de baptême nous institue « enfants de Dieu » dans le cadre d’une Nouvelle Alliance au sein de laquelle, certes nous nous engageons envers Dieu en renonçant au mal et à Satan mais où Dieu, plus encore, s’engage à nous offrir la rémission de nos péchés tout en nous purifiant de la faute originelle héritée de nos premiers parents. Mais quelle est cette faute ? En quoi consiste-t-elle ? Quel est son impact ? Comment un tel péché pourrait-il effectivement se transmettre au fil des générations ? Autant de questions que nous essaierons d’aborder au cours de cette nouvelle catéchèse.
Le péché d’Adam et Ève
Dans un premier sens, on appelle « péché originel » le péché personnel que commirent Adam et Ève en transgressant le commandement divin qui leur stipulait, pour leur bien propre, de ne pas « goûter » au fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Le « goût », dans le langage symbolique de la Bible, est associé à la connaissance expérimentale. En d’autres termes, si Adam et Ève, par leur intelligence et les secours de la grâce, pouvaient disposer d’une connaissance théorique et certaine du mal, toute connaissance expérimentale de ce dernier leur serait évidemment fatale. En effet, une chose est de savoir théoriquement que telle chose fait mal. Autre chose est d’en faire concrètement l’expérience à ses risques et périls. En désobéissant à Dieu par orgueil et défiance, Adam et Ève font malheureusement l’expérience concrète du mal. D’un mal moral et physique dont les conséquences seront désastreuses pour eux-mêmes et tous leurs descendants après eux. C’est pourquoi, dans un second sens, on appelle « péché originel » les dommages collatéraux, pour ainsi dire, que le péché d’Adam et Ève ont entrainés au sein même de leur propre nature humaine. Quand l’Église affirme donc que le baptême nous purifie du péché originel, c’est en ce second sens qu’il faut l’entendre.
La grâce des Origines
Mais pour bien saisir la vérité de la doctrine traditionnelle du péché originel, telle qu’elle a été solennellement définie par l’Église au Concile de Trente, il est impératif, préalablement, de considérer la nature humaine d’Adam et Ève telle qu’elle était en eux avant leur chute. C’est parce que des pasteurs ignorent très souvent cette étape qu’il leur devient alors difficile d’expliquer correctement la réalité du péché originel et par là-même, de rendre crédible l’importance du baptême pour les petits enfants.
Adam et Ève, dès le premier instant de leur conception, ont été créés dans la grâce divine. Cette grâce des Origines, définitivement perdue après que nos premiers parents eurent péchés, était comme « une dot », c’est-à-dire un don attaché à leur nature humaine et donc transmissible avec elle, à tous leurs descendants, par nul autre moyen que la procréation. Cette grâce originelle, souvent appelée « grâce adamique », avait pour effet surnaturel d’instituer l’homme et la femme dans une relation filiale avec Dieu, sanctifiante par nature[1]. Elle apportait aussi toute une série de privilèges, en quelque sorte connaturels et destinés à transfigurer la finitude de la condition humaine : l’âme maîtrisait la tendance du corps à retourner à la poussière et la raison maîtrisait les pulsions[2]. Attardons-nous sur ces deux aspects que l’Église appelle des dons préternaturels.
La grâce des Origines, en effet, apportait infailliblement son concours à l’âme dans son rapport au corps. C’est dans cette perspective qu’il nous faut comprendre que l’immortalité d’Adam était en soi un privilège et non un dû. La perte de la grâce signifiait donc pour lui la possibilité d’une mort certaine à laquelle il ne pourrait tôt ou tard se soustraire, quels que soient ses efforts ou sa volonté personnelle. C’est ce dont le prévient YHWH : « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière. » La matérialité du corps, en effet, conserve une tendance à retourner au néant, au chaos originel. Le corps est en lui-même une réalité corruptible que seule la grâce, en définitive, à la manière d’un vêtement, pouvait préserver de la morsure du temps et des maladies. Cette maîtrise de l’âme vis-à-vis du corps demeure pour nous bien mystérieuse et il serait vain de vouloir en comprendre biologiquement les possibilités à travers l’observation de notre propre corps aujourd’hui.
Quant à la puissance des facultés spirituelles que favorisait la grâce, particulièrement cette maîtrise que la raison exerçait envers les pulsions, la perte de la grâce des Origines constitue un véritable drame pour la liberté de l’homme. C’est là une réalité que le Seigneur évoque à travers des comportements déviants qui seront symboliquement attribués à l’homme et à la femme : « Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi. » Le Seigneur révèle ainsi que la relation harmonieuse dans laquelle l’homme et la femme avaient été institués au Commencement sera inévitablement détériorée par une emprise des passions sur l’intelligence (ta convoitise te poussera) et la volonté (et lui dominera sur toi). Ainsi, par effet de cause, bien que demeurant en elle-même toujours capable de s’exercer, la liberté de l’homme sera malgré tout profondément blessée.
Indépendamment de la perte des privilèges liés à la grâce des Origines, la fragilité de la liberté de l’homme révèle alors que la nature humaine est devenue porteuse de ce que nous pourrions appeler aujourd’hui un handicap spirituel : elle comporte une inclination, une spontanéité à se laisser aller à faire le mal[3]. Au regard de la nature humaine qu’avaient Adam et Ève avant le péché, notre propre nature humaine est donc superficiellement corrompue.[4] Le péché d’Adam et Ève n’a pas seulement privé la nature humaine elle-même de la grâce adamique et des dons préternaturels qui en résultaient, il l’a également abîmée, blessée, introduit en elle comme un vis de forme auquel la Tradition et le Magistère catholique donneront le nom de concupiscence.
Lorsque l’Église affirme donc que tout homme naît avec le péché originel, elle veut par-là exprimer, qu’en raison du péché personnel d’Adam et Ève, dont les conséquences ont profondément bouleversé leur propre condition humaine, tout être humain arrive au monde avec une nature humaine blessée et spoliée des privilèges qu’aurait dû lui apporter la grâce des Origines. Dans cette perspective, il est évidemment fondamental de tenir comme une vérité de foi divine la réalité du monogénisme, c’est-à-dire l’existence d’un premier couple humain qui soit effectivement à l’origine de tous les autres. Là où les sciences paléontologiques peuvent légitimement émettre des hypothèses en faveur du polygénisme, bien que la génétique moderne semble aujourd’hui infirmer le contraire, sur ce sujet, « les fils de l’Église ne jouissent plus du tout de la même liberté » (cf. Humani generis de Pie XII).
À l’issue de cette brève catéchèse sur le péché originel, demeure néanmoins une question importante dont nous réserverons la réponse dans un prochain entretien : l’universalité du péché originel, imputable pourtant à la faute personnelle d’Adam et Ève, ne serait-elle pas un démenti flagrant de la miséricorde divine ?
• Père Jérôme Monribot
Mai 2016
[1] Somme Théologique Ia-IIae, qu. 110, art. 1. Cf. aussi Catéchisme de l’Église catholique n° 375.
[2] Cf. Catéchisme de l’Église catholique n° 376-377.
[3] « Je ne fais pas le bien que je veux mais je pratique le mal que je ne veux pas. » Lettre aux Romains, 7, 19.
[4] Superficiellement et non totalement comme l’enseignait Luther.