Il y a peu de temps, j’ai assisté aux obsèques d’une personne que j’ai connue et appréciée dans le cadre de mon travail. Elle souhaitait une crémation sans cérémonie religieuse. Je n’avais encore jamais participé à une sépulture de la sorte sans même une prière.
Je me rends donc au crématorium. Le maître de cérémonie invite les amis et les collègues de travail à pénétrer tous ensemble derrière la famille dans la salle prévue à cet effet. Je note l’absence de tout symbole religieux. En revanche, l’un de mes bons amis, franc-maçon, me révélera que la salle contient plusieurs symboles maçonniques. Une belle photo est déposée sur le cercueil. L’officiant indique brièvement le déroulement de la cérémonie : trois morceaux de musique aimés par la personne défunte, prise de parole par un membre de la famille, musique de nouveau, prise de parole par deux collègues de travail, musique encore, prise de parole par un ami. À l’issue, le maître de cérémonie intervient de nouveau. Il invite les membres à rendre un dernier hommage en faisant un geste de son choix pour exprimer qui son amour, qui son affection, qui son souvenir. Et pour symboliser ce geste, des pétales de roses sont à notre disposition, si nous le souhaitons, dans deux corbeilles placées près du cercueil. Chacun se rassoit après avoir accompli cette procession. J’ai opté pour le signe de croix plutôt que pour les pétales de rose en complément des Ave récités intérieurement pour le défunt. Nous entendons un ultime morceau de musique. Enfin, l’officiant indique que le cercueil va maintenant partir pour son dernier voyage (la crémation). Il appuie sur une télécommande. Une trappe s’ouvre alors, et c’est lentement que la dépouille mortelle, reposant sur un chariot à roulettes, passe sans bruit de l’autre côté. Une lumière bleutée illumine le cercueil et la photo. Le chariot s’immobilise et lentement la trappe se referme. Le maître de cérémonie, dans une ultime intervention, invite l’assemblée à quitter les lieux à la suite de la famille avec les mentions habituelles pour le registre des signatures. Les obsèques sont terminées.
Je suis mal à l’aise devant tous ces symboles individuels exprimant l’amour des uns et des autres pour la personne défunte, car ils ne me semblent pas être le reflet de l’espérance en la vie éternelle mais plutôt l’expression du néant. Pourtant, résonne encore à mon esprit une courte phrase prononcée par un membre de la famille. Je ne connais pas ses convictions religieuses, et je ne crois pas avoir discerné une dimension chrétienne dans ses propos. À la suite d’un panégyrique du défunt, je l’entends distinctement s’adresser à lui comme à un vivant au présent de l’indicatif : « Je t’aime, tu me manques ». À cet instant, c’est son cœur qui parle, et je me dis que ce cœur (mais aussi celui de tout homme) possède naturellement au tréfonds de lui-même cette certitude qu’il existe une vie après la mort, même s’il prétend croire au néant. Le problème est d’arriver à éveiller cette conscience de Dieu qui sommeille en chacun de nous.
Avouons-le, ce doit être terrible de croire que tout se termine dans un cercueil ou dans une urne funéraire. À quoi servent alors ces derniers hommages et tous ces symboles ? S’ils sont un moyen de se rappeler la vie du défunt, ils restent, à la rigueur, compréhensibles pour la famille qui a besoin d’amour et d’affection. Mais s’ils sont censés s’adresser au défunt, il faut être logique : dans une démarche intellectuelle qui consiste à nier l’au-delà, ils ne servent à rien et vont se perdre eux aussi dans le néant ! L’hypocrisie du rite ne rassurera pas l’esprit et le cœur, vides d’espérance.
Croire au néant nous oblige à nous questionner sur l’intérêt de la vie sur terre. Car, à y bien réfléchir, la très grande majorité des êtres dans le monde ne connaîtra aucune gloire, aucun rayonnement particulier selon les critères humains : richesse, renommée, puissance, amours, bref, tout ce que les médias étalent à longueur de pages et à longueur d’années. Et combien d’entre nous passeront à la postérité ? Combien n’auront qu’une vie de souffrances ou une vie écourtée ne les menant pas même à quatre-vingt ans, cinquante ans, vingt-cinq ans voire moins ? Quel souvenir laissera-t-on à partir de la quatrième génération ? Si l’on nous répond que la vie éternelle se continue à travers nos enfants, je me permets de rétorquer par ces questions : où est la vie éternelle quand l’enfant vient à mourir avant les parents, quand l’enfant vient à couper toute relation avec eux, ou quand il mène une vie contraire à l’éducation donnée par ses parents ? Tout ceci ne peut mener qu’au néant car je ne vois aucune réponse sensée s’il n’y a pas de vie éternelle au-delà de la vie terrestre.
En revanche, ont un sens la vie terrestre, quand elle s’ouvre sur l’éternité, et la pensée ou la prière pour le défunt portée par la croyance en la vie éternelle. Et, pour nous, chrétiens, cette vie éternelle, c’est Jésus-Christ ressuscité d’entre les morts ! Une affirmation qui éclate dans toute sa splendeur et sa vérité, même si cela n’enlève pas la peine et la douleur de la séparation physique. J’ai personnellement connu cette douleur à l’âge de neuf ans lors du décès de mon père, et ce fut, à l’église, un déchirement pour le jeune enfant que j’étais, au point de ne plus pouvoir retourner dans cet édifice sans pleurer parce que cela me rappelait l’enterrement de mon papa. Mais de ce mal, Dieu a permis que ressorte un plus grand bien (grande loi spirituelle de la vie chrétienne) : l’espérance en la vie éternelle. Elle me permet d’affirmer au présent de l’indicatif : « Papa, je t’aime » tout comme je dis : « Mon Dieu, je t’aime ». Cet amour, ces pensées et ces prières, loin de sombrer dans le néant, s’élèvent vers Dieu et vers mon papa dont je perçois concrètement l’amour. C’est une certitude que je possède, que j’ai beaucoup de joie à partager et pour laquelle je rends témoignage.
Malheureusement, combien peu de gens semblent être prêts à entendre ce langage véridique parce qu’ils ont bien souvent peur d’ouvrir leur cœur et leur esprit à cette dimension. S’ils savaient ce que l’espérance apporte dans la vie ! C’est une vision surnaturelle des choses et une meilleure compréhension des événements, une meilleure façon de supporter les épreuves, un optimisme réaliste sur le sens de la vie. En ce mois de mai, prions Notre-Dame de la Miséricorde de nous aider à transformer les cœurs et les esprits de ceux qui souffrent et meurent sans espérance : « Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort ».
• Vincent Terrenoir
Mai 2008